Le Professeur Awa Marie COLL-SECK est médecin spécialiste en maladies infectieuses. Chercheure dans plusieurs domaines, notamment le VIH/SIDA auquel elle a consacré de nombreuses publications, elle a été responsable de département à l'ONUSIDA à Genève de 1996 à 2001. Entre 2001 et 2003, elle a été Ministre de la Santé et de la Prévention du Sénégal. Entre 2004 et 2012, elle fût Directrice Exécutif de Roll Back Maria à Genève et depuis la deuxième alternance politique du Sénégal, en mars 2012, elle est devenue Ministre de la Santé et de l'Action sociale et son département est chargé de la mise en oeuvre du programme de la Couverture Maladie Universelle (CMU), une des priorités du Gouvernement du Sénégal. Elle est une ancienne joueuse internationale de basket-ball.
Dans cet entretien, Mme le Ministre nous explique la stratégie adoptée par son pays pour faire de la CMU une réalité au niveau national et le rôle et la place des mutuelles de santé dans cette politique.
Madame le Ministre, la Couverture Maladie Universelle est une des priorités de l'agenda politique du Président Macky SALL. Pouvez-vous nous décrire le projet de CMU ?
Vous savez que le Président de la République, son Excellence Monsieur Macky SALL, a compris dès son accession à la magistrature suprême qu'au Sénégal, un consensus sur la vision globale et les orientations d'une politique nationale de protection universelle, s'avère indispensable. Elle nécessite une approche participative sous la forme d'un large débat citoyen pour d'une part déterminer le rôle et les responsabilités de l'Etat et définir d'autre part les voies et moyens aptes à faciliter l'inclusion des couches sociales restées jusqu'ici en marge de tout système organisé de couverture du risque maladie. C'est dans cette perspective qu'il nous avait instruit d'organiser des Concertations nationales sur la Santé et de l'Action sociale, qui ont eu lieu les 18 et 19 janvier 2013 et dont le principal thème était la Couverture Maladie Universelle.
En effet au Sénégal, environ 80% de la population ne dispose pas d'une couverture du risque maladie. C'est pourquoi, Monsieur le Président de la République, veut faire de la CMU un nouvel instrument de solidarité nationale devant permettre à chaque sénégalais d'accéder à un minimum de soins et cette solidarité doit avoir comme fondement les valeurs socioculturelles sénégalaises, car dans notre pays, la solidarité et l'entraide lorsque survient la maladie font partie intégrante de notre identité. Ces valeurs cardinales peuvent être considérées comme les leviers les plus puissants pour la mise en place d'un système de couverture maladie universelle au Sénégal.
Nous pouvons également considérer que cette volonté politique de faire de la CMU une réalité au Sénégal, prend totalement en ligne de compte la vision sur laquelle repose notre plan national de développement sanitaire (PNDS 2009-2018). En effet, ce plan repose sur la vision d'un Sénégal où tous les individus, tous les ménages et toutes les collectivités bénéficient d'un accès universel à des services de santé promotionnels, préventifs, curatifs et ré adaptatifs de qualité sans aucune forme d'exclusion et où il leur est garanti un niveau de santé économiquement et socialement productif.
Cette volonté du Président de la République d'inscrire la Couverture Maladie Universelle (CMU) et la gouvernance sanitaire comme source d'action prioritaire de son agenda politique, a amené le Ministère de la Santé et de l'Action sociale à élaborer en collaboration avec l'ensemble des parties prenantes, un Plan Stratégique de Développement de la Couverture Maladie (PSD-CMU) 2013-2017 articulé autour des axes suivants :
le développement de la Couverture Maladie Universelle de base à travers les mutuelles de santé ;
la réforme de l'assurance maladie obligatoire à travers la mise en oeuvre du décret 2012 %u2013 832 du 07 août 2012 portant organisation et fonctionnement des Institutions de Prévoyance Maladie (IPM) ;
le renforcement des politiques de gratuités existantes ;
la mise en oeuvre de la nouvelle initiative de gratuité des soins pour les enfants de moins de cinq (5ans).
La mise en oeuvre de ce plan stratégique, dont les orientations sont reprises dans le Plan Sénégal Emergent (PSE) à travers l'axe stratégique « Capital humain, la protection sociale et le développement durable », nous permettra d'atteindre un objectif de couverture d'au moins 75% de la population à l'horizon 2017, conformément au discours du Président de la République au cours du lancement officiel du programme, le 20 septembre 2013.
Ces différentes interventions sont accompagnées d'un renforcement de l'offre de santé, en terme de recrutement de ressources humaines, du relèvement du plateau technique des structures de santé. C'est dans ce cadre, qu'un recrutement spécial de mille (1000) agents de santé dont cinq cent sages femmes (500), a été effectué en 2014 et la majorité sera affectée dans les zones les plus reculées du Sénégal afin de rapprocher davantage les soins aux populations.
Quel est le rôle du Ministère de la Santé et de l'Action sociale dans ce cadre dans le cadre de la mise en oeuvre du programme?
Le Ministère de la Santé et de l'Action sociale par l'entremise de la Cellule d'Appui à la Couverture Maladie Universelle, assure la mise en oeuvre de la CMU au niveau national, notamment l'axe promotion et développement des mutuelles de santé et l'axe régime d'assistance médicale à travers les initiatives de gratuité. Concernant, l'axe promotion de l'assurance maladie obligatoire, il est géré par le Ministère en charge du Travail, qui bien sûr travaille en parfaite intelligence avec notre département, pour une meilleure harmonisation de nos interventions.
Au demeurant, il est important de souligner que la réussite de la Couverture Maladie Universelle repose indéniablement sur une démarche multisectorielle, participative et inclusive, avec un engagement soutenu et continu des acteurs du système de santé, d'une part, mais aussi des agents des autres ministères sectoriels, des membres de la société civile, du secteur privé, de la presse, des partenaires techniques et financiers d'autre part, bref, de toutes les forces vives de notre pays. C'est dans cette perspective, qu'un Comité National Interministériel de Pilotage de la Stratégie Nationale de Développement de la Couverture Maladie Universelle, mis en place par arrêté primatorial pour renforcer le dispositif de coordination et du suivi du programme. J'assure la présidence de ce Comité et il a été installé d'ailleurs, le jeudi 23 octobre 2014. Différentes commissions techniques ont été mis en place ainsi que des comités régionaux et départementaux de suivi au niveau opérationnel.
Tout cela pour traduire la volonté du Président de la République de faire de l'approche multisectorielle et du partenariat public privé au sens large, un levier fondamental pour réussir ce programme de CMU au Sénégal. Au cours du lancement officiel du programme au mois de septembre, il disait ceci, je le cite : « L'atteinte de l'objectif de Couverture Maladie Universelle exige des actions synergiques ainsi qu'une démarche multisectorielle. Elle ne saurait être l'apanage d'un seul département ministériel, encore moins d'un seul secteur. C'est dire l'importance d'une approche inclusive permettant à chaque entité concernée par ce vaste chantier d'apporter sa pierre à l'édification et à la pérennisation du programme ».
C'est cette approche multisectorielle, que nous avons également utilisé dans le cadre de la lutte contre le Virus Ebola, avec un fort engagement de tout le Gouvernement et toutes les forces vives de la nation, sous l'impulsion de Monsieur le Président de la République, avec le leadership de notre département.
Madame le Ministre, quelle est la place des mutuelles de santé dans la mise en oeuvre de cette CMU au Sénégal?
Je voudrais rappeler que les mutuelles de santé occupent une place de choix dans notre stratégie et sont ainsi l'axe prioritaire, pour une raison simple. Le diagnostic sans complaisance, que nous avons réalisé au cours des concertations nationales sur la santé et l'action sociale a montré, que l'essentiel de la population qui ne dispose pas de couverture du risque maladie au Sénégal, se trouve dans le secteur informel et le monde rural et que le seul dispositif d'assurance maladie capable de prendre en charge ces secteurs constitue les mutuelles de santé.
L'idée est de mettre en place une mutuelle de santé communautaire pour les résidents au niveau de chaque collectivité locale. D'où le slogan « une collectivité locale, une mutuelle de santé au moins ». Ces mutuelles de santé sont ensuite regroupées en unions départementales et en unions régionales. La relation avec les prestataires de soins se fait sur chacun de ces trois niveaux. Il faut noter que dans le cadre de la promotion des mutuelles de santé, à travers le projet « Décentralisation et Assurance Maladie » (DECAM), des innovations majeures ont été faites. Il s'agit de l'engagement du Gouvernement à subventionner les cotisations aux mutuelles de santé à hauteur de 50% pour les personnes ayant la capacité contributive d'adhérer à une mutuelle de santé et de 100% pour les personnes identifiées comme indigentes, sur la base de critères objectifs. Pour ces dernières, l'Etat prend en charge aussi le ticket modérateur, en cas de maladie ainsi que les frais d'adhésion aux mutuelles de santé. Ce qui fait une prise en charge totale de tous les indigents enrôlés dans les mutuelles de santé.
Ces subventions ont permis d'étendre le paquet de soins, prenant en compte tous les niveaux de la pyramide sanitaire (poste de santé, centre de santé et hôpital), les rendant ainsi plus attractives.
Après une année de mise en oeuvre de la CMU à travers les mutuelles de santé, nous pouvons dire que le bilan est satisfaisant, car les résultats obtenus sont très encourageants et nous pourrons nous appuyer sur cela pour accélérer le processus de mise en place des mutuelles dans d'autres départements pilotes et augmenter le taux de couverture.
En effet en un an, au total cent six mille (106) nouvelles mutuelles de santé ont été mises en place, dans 14 départements de concentration du DECAM et environ vingt mutuelles sont en cours de restructuration. Les nouveaux adhérents sont au nombre de 28 293 sur l'ensemble de ces départements pilotes soit environ 226 344 bénéficiaires attendus d'ici la fin de l'année.
A ces différents résultats s'ajoutent ceux obtenus dans deux autres départements pilotes où nous sommes en train de mettre en place un système d'assurance maladie à grande échelle, au total 5575 bénéficiaires sont enregistrés dans ces zones.
L'enrôlement systématique des 48000 ménages bénéficiaires du Programme de Bourse de Sécurité Familiale dans les mutuelles de santé, conformément aux instructions de Monsieur le Président de la République, augmentera de manière considérable, le taux de couverture au niveau des mutuelles. L'enrôlement de ces ménages dont le processus est en cours, permettra de faire bénéficier environ 384 000 personnes d'une prise en charge à travers les mutuelles de santé.
C'est cette même dynamique qui a été notée au niveau de la mise en oeuvre des initiatives de gratuité des soins pour les enfants de moins de cinq ans et des césariennes. Nous sommes en train de réfléchir maintenant sur des stratégies d'intégration de ces initiatives de gratuité dans les mutuelles de santé, qui je le rappelle constitue notre axe prioritaire. Il s'agira de tester le modèle dans les départements pilotes du DECAM, avant d'avoir des mutuelles de santé opérationnelles au niveau de toutes les collectivités locales.